Festival de Woodstock, 1969

Automne 2003 à Santa-Fe, Nouveau-Mexique. Lumière d’été indien. Les premiers invités arrivent en jeans-santiags « vintage », avec chemises écossaises à franges. Devant le vieux Théâtre trône un bus peinturluré d’arabesques psychédyliques. Un groupe de soixantenaires, la fleur à l’oreille et le visage grimé « fluo » l’entoure en évoquant « eight ashbury », le « flower power », et « mister hippie » que l’on va brûler dans deux semaines à San Francisco, comme chaque année, in memoriam.

Ce soir le parterre est bondé : Lise Law, égérie de l’époque, présente son film « flashing on the sixties : a tribal document », qui retrace notamment les coulisses du festival de Woodstock. Premières images d’une foule vibrante et heureuse affluant vers le terre-plein,  par bus, caravanes, camions, tracteurs, à pied, en bicyclette…Dans la salle le recueillement est absolu : ils y étaient tous.

Séquences magiques. Un couple superbe à demi-nu, tangue enlacé parmi une marée d’autres couples allongés,  joints aux lèvres, sourires béats, regards extatiques…Bliss. Sur l’estrade, tout la-bas, très loin, sautent en l’air leurs idoles surexcitées, aux guitares plus grandes qu’eux…Zoom avant vertigineux .  Il vient de bondir sur scène, caoutchouc, un félin, c’est lui, c’est Jimmy…Et soudain cette énergie-là vous saisit au ventre, vous électrise, tant d’audace, de vitalité, ce hurlement d’espoir,  cette voix railleuse qui nargue rassis et nantis…Et puis, comme s’il l’avait attirée par ses longs hululements, elle arrive à son tour, la louve, furie aux cheveux roux, sa sœur, boule de feu qui embrase la foule-houle qui par vagues immenses l’acclame. Et dans le noir, toute la salle se lève d’un coup, les sièges claquent pour elle, la Janis, qui sur cette image sautillante, et avec ce son pourri,  nous galvanise encore plus de trente ans après, coup de sang, claque du fouet, debout les morts et les endormis, la lutte est loin d’être finie.

Onde de choc, émotions, larmes silencieuses, vibrations électriques…Qui explosent à la sortie en rires et embrassades. Retrouvailles d’une vraie tribu. Visages ouverts, toniques, jeunes. Ils reprennent la route de leurs ranches, de leurs communautés, de leurs tipis. Leurs regards n’ont pas changé. Ce sont  eux qui détournent les publicités mensongères,  fabriquent les gazettes locales, les happenings au vitriol dénonçant scandales et corruptions, font circuler les vrais chiffres, les faits exacts, nourrissent  « Frazer Clark », le journal internet hebdomadaire qui fustige lobbies et maffias…Un vrai cri de ralliement de l’autre Amérique, la leur et la mienne, celle des dissidents et des activistes inébranlables, qui, points d’acupuncture sur un corps meurtri, luttent pied à pied contre tous les matins bruns.

Armée anonyme, solidaire, tonique, ressurgie du « Peace and love » qu’ils pratiquent encore,et qui grossit, enfle, se répand telle la houle de Woodstock…Non, Mister hippie n’est pas mort, il bouge encore.